Être autiste dans un monde neurotypique

Anick Bergeron, Agente de recherche et de planification | École de langues

Anick Bergeron, Agente de recherche et planification

Crédits: Émilie Tournevache

Un fonctionnement cognitif différent

Mon cerveau fonctionne différemment de celui de la moyenne des ours. Ce qui veut dire que je dois régulièrement m’ajuster à la façon dont vous présentez vos idées, vos opinions, vos sentiments. Je dois souvent traduire ce que vous dites, ce que vous écrivez, pour comprendre. Je dois aussi souvent ajuster la façon dont je présente mes idées, mes opinions, mes sentiments. Pour que vous les compreniez. Parce que vous êtes « majoritaires » et que vous vous attendez à ce que le monde soit ajusté à vos besoins, à vos façons de faire, à vos attentes.

Par exemple. Dans une entrevue pour un emploi, alors qu’on me demandait pourquoi je serais la meilleure personne pour cet emploi, j’ai répondu qu’une amie à moi, qui avait aussi postulé, serait meilleure. Pas que je croyais que je n’étais pas qualifiée pour l’emploi : je l’étais tout à fait. Mais j’ai tendance à être franche, sans filtre et directe. Et je croyais (et crois toujours) que la copine était mieux que moi pour ce poste. Les situations sociales, particulièrement avec plusieurs personnes que je ne connais pas nécessairement ou bien, me rendent anxieuse et font en sorte que je ne suis pas capable de m’adapter aux attentes et aux implicites : dans ce cas-ci, vendre ma candidature pour clore l’entrevue. De plus, l’oral n’est pas un mode de communication dans lequel je suis le plus à l’aise; l’écrit me convient beaucoup mieux, ça me laisse du temps pour réfléchir non seulement à mes idées, mais aussi à la meilleure façon de les exprimer pour qu’elles soient comprises.

Des perceptions sensorielles hors de l’ordinaire

Mes sens perçoivent le monde différemment de celui de la moyenne des ours. En gros, la vie de tous les jours, pour moi, c’est un peu comme habiter dans un mélange de chantiers de construction en plein travaux et de concert puissant aux effets visuels étourdissants. Des choses que vos systèmes nerveux et vos cerveaux mettent de côté, mon système nerveux et mon cerveau à moi n’arrivent pas à les ignorer. À la maison, c’est le bruit de l’électricité qui court dans les murs; les conversations et la musique des voisines, voisins; le bruit des gamines et gamins qui jouent dans la ruelle; celui des chantiers de construction adjacents, etc. Dans le transport en commun, c’est le bruit des moteurs; la musique qui déborde des écouteurs des gens; les conversations qui se tiennent même loin de moi; les téléphones qui sonnent, vibrent ou diffusent conversations et musiques parce que les gens ne portent pas d’écouteurs; les visuels animés sur les écrans promotionnels; etc. Au travail, c’est le bruit qui provient des bureaux adjacents au mien ou même plus loin, des salles de classe, de réunion, des séchoirs à mains dans les toilettes, des restaurants et cafés; les nombreux écrans sur lesquels on diffuse de l’information ou des pubs lumineuses et animées; les néons qui éclairent la plupart des espaces; les différentes odeurs des gens et des lieux.

Par exemple. Dans une réunion d’une trentaine de personnes à laquelle j’ai assisté et qui a duré trois heures, les gens n’ont cessé de chuchoter entre eux, leur téléphone n’a pas sonné, mais plusieurs vibrations se sont fait entendre, des écrans étaient ouverts et des images y défilaient souvent ou des bruits de clavier se faisaient entendre; j’entendais et je percevais la vibration des néons; les parfums des gens se mélangeaient aux autres odeurs ambiantes. À travers tout ça, je devais me concentrer sur ce qui était présenté, interpréter et traduire l’information pour qu’elle soit compréhensible pour mon cerveau. Après trois heures, j’étais lessivée. Les réunions Zoom sont encore plus pénibles : les bruits sont multipliés; la qualité sonore est très pauvre; les écrans des gens ne sont pas nécessairement posés sur une surface stable et l’image bouge constamment; si les gens utilisent le clavardage en même temps que d’autres parlent, il y a constamment des notifications à l’écran, etc. Trois heures de Zoom ne sont même pas envisageables sans que je ne m’effondre.

Un handicap invisible

L’autisme est une réalité complexe, encore largement incomprise et largement mal représentée. On connaît les clichés : Rain Man, Sheldon Cooper, Shaun Murphy. Mon profil ne correspond qu’en partie à ces personnages. Mes traits ne sont pas évidents à « voir », il faut souvent que j’explique, et donc que je me dévoile, pour tenter de faire comprendre ma réalité. Je dis « tenter » parce que c’est souvent une question de degré et que vous croyez souvent que votre expérience d’une overdose de bruits, par exemple, est l’équivalente de la mienne. Ce n’est pas le cas.

Toute forme de surcharge, sensorielle, cognitive ou émotive, risque de me précipiter dans un effondrement. Dans le meilleur des cas, cet effondrement me causera une fatigue extrême qui se résoudra en quelques heures. Dans de moins meilleurs cas, des jours seront nécessaires pour m’en remettre. Dans les pires cas, mon système nerveux sera tellement irrité que je m’offrirai une crise en bonne et due forme. Je me retrouve alors à faire les cent pas dans mon appartement pendant de longues minutes, voire, quelques heures, en serrant très fort mes vêtements contre moi pour tenter de calmer mon système nerveux. Ou je crie à tue-tête en tapant contre les murs de toutes mes forces pour tenter de laisser sortir le trop-plein qui a envahi mon système nerveux.

L’accessibilité

Le monde n’est pas particulièrement accessible pour une personne dont les sens sont hyper réactifs, dont le cerveau fonctionne différemment, dont la réalité ne correspond pas à ce qu’on considère être la « normalité ». Les conséquences sont coûteuses : fatigue et épuisement; espaces privés et publics souvent peu accessibles, voire pas du tout; incompréhensions menant à de l’exclusion; santé hypothéquée. Entre autres choses. Dans la population autiste, le taux de suicide est nettement plus élevé que dans la population générale, de même que la fréquence des problèmes psychologiques. Nombres d’autistes sont incapables de se trouver un emploi ou d’en garder un. J’avoue que j’essaie de ne pas trop y penser. Parce que ça m’effraie. Beaucoup. Ça me met en colère aussi.

Ce que vous pouvez faire

L’accessibilité, que ce soit pour des personnes autistes ou d’autres situations de handicap, est en partie une question d’institutions, publiques ou privées, qui mettent en place des politiques et des pratiques la favorisant. Mais on peut faire aussi beaucoup en tant qu’individu pour favoriser l’accessibilité. Se renseigner et en apprendre davantage sur les différentes formes de situations de handicap est déjà un excellent départ. Bien sûr, tout le monde ne peut pas tout connaître de toutes les situations. L’ouverture à la différence, la curiosité, le dialogue sont d’autres excellents moyens de favoriser l’accessibilité sans avoir à devenir spécialiste.

Dans mon cas précis, par exemple, ça peut vouloir dire de ne pas vous offusquer quand j’ai besoin de solitude parce que j’ai dépassé mes capacités à entrer en relation avec d’autres dans une journée. Ou faire attention, lors d’une réunion à laquelle je participe, aux éléments qui pourraient créer des surcharges sensorielles pour moi. Ou encore, ne pas vous irriter d’une parole que vous jugeriez trop directe ou d’un ton que vous trouveriez trop sec. Dans la très grande majorité des cas, mon intention n’était pas telle; c’est simplement ma façon naturelle de m’exprimer.

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